L'ORIENT LE JOUR - quotidien Beyrouth LIBAN
10 Octobre 1999
WEB-CULTURE On a dansé sur le Net !

“ Parfois, Internet ne se trouve être pour tout artiste qu'une vitrine à moindres frais. Comme certains internautes mettent leur CV en ligne, ils accumulent les restes de leurs créations, textes de programme, photos, revue de presse... Cela peut, certes, constituer une base de données intéressante, mais en aucun cas une création originale. Didier Mulleras, chorégraphe français, a décidé, lui, de choyer les amoureux du Net en créant des oeuvres qui leur sont spécifiquement destinées : ses «Miniatures» à l'adresse http://www.mulleras.com. S'adaptant aux contraintes du médium , petite fenêtre, mouvement saccadé, faible définition de l'image, arrêts impromptus pendant le chargement , le chorégraphe nous livre dix solos variant de 20 secondes à 2 minutes et lus grâce à «Realplayer». L'ordinateur s'anime alors d'une présence mi-humaine, mi-informatique : une sorte d'icône qui, tel le Pinocchio de notre enfance, serait devenue vivante. Chacun des micro-métrages est un écho du support qui le diffuse : duplication, disparition, trace, arrêt imprévu. Une métaphore, en somme, de l'univers informatique. Pour Didier Mulleras, il s'agissait de montrer que «la danse contemporaine peut être ludique et humoristique car les solos de "Miniatures" ne se prennent pas au sérieux», mais il voulait aussi «mettre un peu de corps humain sur Internet». Il réussit plus que cela : inventer un nouvel art, autonome, qui agit avec un charme indicible, ni vraiment homme ni vraiment machine.

En visitant le site qui nous présente la compagnie Magali et Didier Mulleras, établie à Béziers depuis 1988, on peut découvrir des extraits de captations vidéo de leurs spectacles et mesurer tout le chemin parcouru pour arriver à une danse spécifique au Web. «C'est l'envie de sortir la danse du traditionnel cadre du plateau qui nous a poussés à nous engouffrer dans cette nouvelle fenêtre», dit l'artiste. Une question d'envie plus que d'opportunisme qui a conduit Didier Mulleras à se lancer dans l'aventure de la chorégraphie en ligne. Avec «Miniatures», il a réalisé une première au monde : une création chorégraphique pour le Web à découvrir uniquement par écran et souris interposés.

En surfant jusqu'au site de la compagnie Mulleras, les internautes peuvent assister à une représentation d'exception. Une création virtuelle composée de dix micro-métrages, de très courts solos interprétés par Didier Mulleras. «J'ai voulu que ces images soient en miniature, un clin d'oeil aux "thumbnails" qui peuplent les écrans des ordinateurs. Pas de bande son pour une meilleure définition d'image et une durée très courte pour chaque clip». Loin d'une simple logique de «copier-coller», le maître de ce ballet virtuel s'est soumis aux contraintes inhérentes à cette scène d'un nouveau genre. Des contraintes techniques, culturelles aussi. «Sur Internet, l'espace et le temps sont des données incontournables, taille des fichiers à télécharger et durée des petites chorégraphies», insiste le danseur. «Le site de la compagnie existe depuis février 1998. Au départ, c'était un simple moyen de communication. Très rapidement, nous avons été confrontés à la difficulté de diffuser des images en mouvement», se souvient Nicolas Grimal, directeur technique et webmaster de la compagnie. Alors que les internautes papillonnent d'un site à l'autre d'un simple clic de souris, un bon quart d'heure d'attente était alors nécessaire avant de visualiser un extrait vidéo d'une quarantaine de secondes. «C'est grâce à la nouvelle technique de lecture en direct, sans téléchargement préalable des fichiers informatiques, que nous avons trouvé la solution». Au final, «Miniatures» est le fruit d'une réelle cocréation du chorégraphe et du webmaster. «Avec une restitution à sept images par seconde, j'ai dû adapter mes gestes, être plus lent pour éviter les saccades. Quand j'ai écrit ces micro-métrages, j'ai aussi beaucoup joué sur les images manquantes», souligne Didier Mulleras. De son côté, Nicolas Grimal a donné de l'effet à certains mouvements du danseur. Un danseur qu'il ne s'est pas privé de cloner en triple pour les besoins d'un canon chorégraphique. «Ce n'est qu'une première étape, j'ai envie d'ouvrir cet espace virtuel à d'autres danseurs. Ma prochaine création devrait, d'ailleurs, s'inspirer, se nourrir de cette expérience sur le Net».

Maya GHANDOUR  
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