Le MONDE INTERACTIF - 6 Avril 2001

Danse assistée par ordinateur à la Sorbonne
Edition du vendredi 6 avril 2001

La conférence "Danse et multimédia" organisée dans le cadre des Jeudis de la Sorbonne traitait des rapports pédagogiques et esthétiques entretenus par la danse avec les nouvelles technologies

" La danse n'a pas besoin des nouvelles technologies pour exister, elle était là avant, elle sera là après ". Armando Menicacci, enseignant et musicologue au département danse à l'université Paris-VIII, donne la tonalité des débats de ce " jeudi " de la Sorbonne. Il compare la fusion de la danse avec les nouvelles technologies à l'arrivée des chaussons " pointes " au début du XIXe siècle, entraînant un décuplement du potentiel créatif. De nouvelles pistes sont à explorer, même si - rassure-t-il - " la transpiration, le mal de pieds et les courbatures sont toujours d'actualité! "

Le chorégraphe américain Merce Cunningham est indubitablement le pionnier en la matière. Il a traversé successivement plusieurs stades d'évolution, en faisant d'abord entrer le mode aléatoire dans la composition musicale et chorégraphique (avec John Cage), puis en se tournant très tôt vers des créations destinées à être uniquement filmées. La troisième étape, c'est l'ère des compositions chorégraphiques assistées par ordinateur. " L'ordinateur permet de voir les figures en mouvement, d'en inventer de nouvelles ", expliquait-il lors de la création du logiciel Life Forms ; " par lui, je découvre des possibilités que je pensais ne pas pouvoir danser du tout. Cela a rendu mes chorégraphies beaucoup plus complexes."

Armando Menicacci entame la démonstration de ce logiciel de création sorti en 1989, et utilisé par Merce Cunningham dans ses vingt dernières chorégraphies. Sur un plateau en 3D, un corps sexué est observable dans un effet de caméra tournante. On choisit la position du corps à l'instant T1, et la position d'arrivée à l'instant T2. On valide la commande, puis l'ordinateur se charge de l'enchaînement entre les deux positions. Le mannequin virtuel réalise finalement le mouvement obtenu en temps réel. On peut ensuite " copier-coller " un plié de jambe, la courbure d'un bras entre deux séquences... mais aussi sauter sans appel, voler (!) et plier les jambes dans le sens inverse de l'articulation ! Loin de voir dans ces derniers effets un défaut du logiciel, Armando préfère y lire la possibilité de créer pour le plaisir, de créer sans te! nir compte des limites physiques du corps. Et, citant Cunningham il complète : " La danse est pour moi le mouvement dans le temps et l'espace. Ses possibilités sont seulement limitées par notre imagination et nos deux jambes ".

La création assistée par ordinateur est un instrument de travail. Elle ne se substitue en aucun cas à l'imagination du chorégraphe. Les logiciels sont pour les danseurs des outils pédagogiques particulièrement efficaces, plus pointus que la vidéo, permettant de transmettre des mouvements ou des chorégraphies entières de façon fiable. Des capteurs placés sur le corps des danseurs permettent ainsi de noter le degré d'inclinaison du mouvement, l'angle de rotation de la jambe... " Dans 99 % des cas, l'erreur dans un mouvement répété par un élève ne reflète pas une incapacité d'ordre physique, mais un problème de perception des séquences qui composent un mouvement ", confirme Armando Menicacci.

La chorégraphe canadienne Andréa Davidson est moins enthousiaste que le jeune professeur sur les capacités du logiciel Life Forms. Néanmoins, intégrer la danse aux nouveaux supports technologiques (CD-ROM et Internet) " est une réponse poétique aux nouvelles technologies ". Parallèlement à sa pratique artistique, Andréa réalise une thèse sur l'esthétique de l'interactivité à l'université Paris-VIII. Elle présente une partie d'un travail collectif réalisé sur CD-Rom, La Morsure, chorégraphie inspirée d'un poème de Julio Cortazar. Par le simple glissement de sa souris, le spectateur devient coauteur de cette création. Les mouvements du curseur commandent les phrases musicales et certains mouvements des danseuses dans cette œuvre riche de poésie... et d'innovations technologiques.

Une question plane sur l'assemblée : s'agit-il encore de danse, d'un spectacle vivant par essence, ou " d'autre chose " ? Réponse sans équivoque : " Le spectateur établit ici un lien plus intime que lorsqu'il est dans une salle, grâce au " touché " de la souris. Il participe au déroulement de l'histoire. C'est un spectacle vivant par le type de relation triangulaire établi entre les corps dansant, la main et l'assise du spectateur dans son propre corps ", commente Andréa Davidson. Et à la chorégraphe de rappeler que les images vidéo ont longtemps été considérées comme tabou dans le milieu protégé de la danse. " Mais, en général, le public a l'air de bien mieux accepter ces évolutions ", conclut-elle.

Liens:

www.mulleras.com : le site de la compagnie de Magali et Didier Mulleras, créateurs d'oeuvres interactives pensées pour le Web.

www.randomdance.org : site interactif présentant des créations réagissant au passage de la souris.

www.merce.org : le site officiel de Merce Cunningham.

Candice Moors
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