L'HUMANITE - 1 juin 2001
L'alchimie Art Rock

Festival. Durant trois jours, Saint-Brieuc vit à l'heure de la manifestation culturelle phare des Côtes-d'Armor, qui cette année accueille 38 formations, soit 400 artistes.

Chaque année, le festival pluridisciplinaire profite du week-end de la Pentecôte pour jeter des ponts entre arts et rock, multipliant les expériences sur fond de musiques actuelles, danse, arts plastiques et performances théâtrales.

Avec 36 000 spectateurs l'an dernier, Art Rock est devenu la manifestation culturelle phare des Côtes-d'Armor. Les raisons de son succès tiennent bien sûr à la programmation originale du festival. Mais aussi au fait, qu'après avoir été inscrit durant les vacances d'automne de la Toussaint, pour ses premières éditions, le festival se déroule désormais aux beaux jours, pendant les fêtes de la Pentecôte. Un changement de calendrier, qui lui permet de rapprocher son audience d'événements populaires type festivals d'été.

Chaque année, depuis dix-huit ans, on se rend à Saint-Brieuc, à l'occasion du long week-end de juin, non seulement pour y découvrir les charmes de la Bretagne, mais surtout pour goûter aux plaisirs des musiques actuelles, des arts plastiques, des créations multimédia, de la danse contemporaine ou des performances théâtrales : " Si Art Rock a acquis la réputation de festival le plus singulier de l'Hexagone, s'enorgueillissent les organisateurs, c'est qu'il s'intéresse à des territoires divergents, là où presque nulle autre manifestation n'ose poser le pied. " Il faut dire qu'ici les expériences sont multiples et s'amusent à jeter des passerelles entre le monde des arts et celui du rock. D'où l'intitulé de la manifestation dont on doit le concept à une poignée de passionnés de la musique issue du milieu associatif, en tête desquels on trouve Jean-Michel Boisnet, son directeur, également administrateur de la scène nationale de Saint-Brieuc : " C'est le terme rock qui me rapproche le plus de la notion de risque à courir explique-t-il. C'est une nécessaire mise en danger. Quand on met sur pied des projets aussi fous que Royal de Luxe, la Fura dels Baus, De la Guarda, comme nous l'avons fait, ou cette année, le groupe F, on invite des formations à des années lumière du groupe de scène. C'est une grosse part de risques pour l'organisateur qui se lance dans cette aventure ".

Les arts et leurs différentes disciplines se déclinent ainsi depuis 1983, sous l'impulsion, de l'association Wilde Rose, par ailleurs organisatrice de nombreux concerts à Rennes et Brest. Deux permanents travaillent ici à l'année, recrutés grâce au dispositif des emplois jeunes ainsi qu'une quinzaine de collaborateurs supplémentaires au moment des préparatifs du festival, auxquels viennent s'ajouter 300 personnes le jour dit, répartis entre bénévoles et salariés d'entreprises prestataires. Dés ses débuts, Art Rock s'est fixé pour mission d'être un " défricheur de talents ", programmant des artistes aussi différents que Claude Brumachon (aujourd'hui directeur du Centre chorégraphique de Nantes), Alain Bashung, la Compagnie de danse Karole Armitage, Philippe Decouflé ou Public Ennemy. Il y a dans cette volonté de décloisonner les genres, un souci d'ouverture ainsi qu'une manière de faire se croiser les gens. " J'essaie d'avoir à la fois une programmation musicale variée précise Jean-Michel Boisnet. Cette année, elle sera grand public : Henri Salvador, Saint-Germain, Cheb Mami. Mais derrière ces têtes d'affiche, il y a des artistes peu connus, tels les musiciens hongrois Besh O Drom où les interventionnistes de rue de Cinétrip qui viennent de Budapest. Si on pousse vers d'autres limites, il y a des gens qui découvriront des artistes de jazz ou simplement l'exposition Joël Hubaut. "

Si les Transmusicales de Rennes cultivent un esprit rock avant-gardiste, le festival de Saint-Brieuc attire par l'éclectisme de ses choix. Une démarche à caractère pluridisciplinaire qui semble être de plus en plus appréciée par la population briochine : " Quand nous avons invité le groupe de rap Public Ennemy en 1990, confie le directeur d'Art Rock, les commerçants ont souhaité descendre les grilles de leur magasin plus tôt que d'habitude. Il ne s'est rien passé, et le groupe a fait un concert formidable. Après, la population a vu les troupes de rue évoluer de manière très festive, et petit à petit, tout s'est mis en place, les gens se sont aperçus que tout cela était serein. "

Le festival dispose aujourd'hui d'un budget de près de 6 millions de francs. Mais dans la perspective de son 20e anniversaire (2003), il rêve déjà d'étendre sa surface financière (à 7 millions de francs) de façon à poursuivre son développement et asseoir son image de manifestation nationale majeure : " Notre priorité est de faire venir des artistes, y compris lorsque les projets sont onéreux. Le budget de 7 millions que j'essaie d'obtenir, fera en sorte que l'accueil des artistes soit mieux réalisé qu'aujourd'hui. Il faut que nous ayons des conditions techniques adéquates. Certes, il y a des bénévoles, mais j'entends aussi que les salariés soient payés décemment... Plus le festival monte en puissance, plus ses frais de fonctionnement et de structures augmentent. "

Saint-Brieuc s'apprête cette année, à accueillir 400 artistes, du simple DJ à la troupe de rue. Avec, comme toujours, une large place accordée à la musique (Tété, Yann Tiersen, Laurent de Wilde, Julien Lourau, Natalia M. King, KDD, Disiz La Peste, Trip do Brasil, Saint-Germain, etc.). Au-delà, Art rock entend jouer sur le registre du " décalé et du saisissant " à travers les nombreuses performances théâtrales de rue, notamment le spectacle " Un peu plus de lumière " du groupe F, la compagnie qui a allumé la tour Eiffel pour le passage à l'an 2000 (à voir dans la vallée du Gouédic). Mention spéciale aussi pour la Compagnie Off, qui autour d'un piano disposé au centre d'une arène, donnera " Carmen, opéra de rue ". Tandis que la Compagnie Mulleras, inventera une chorégraphie baptisée " Miniatures " entre Web, scène et danse contemporaine.

Art Rock, cette année cède aux sirènes du 7e Art, en projetant en avant-première 101 Reykjavik, du réalisateur islandais Baltasar Kormakur (avec Victoria Abril). Enfin, on notera la rétrospective Chris Cunningham, l'une des figures du vidéo-clip. Commentaire de Jean-Michel Boisnet : " Il me semble que l'affiche est susceptible d'intéresser un large public, à la fois des gens, disons underground, qui sont à la recherche de particularités. Ceux là, je les invite à se rendre dans le petit théâtre à l'Italienne et à voir les ouvres vidéo de Chris Cunningham, qui ne devraient pas manquer d'intérêt. Les autres iront sûrement écouter Henri Salvador ou Sergent Garcia. Je suis sûr qu'ils en profiteront pour découvrir les dessous du festival, les autres artistes présents qui sont bien moins connus. Enfin, j'espère que le groupe F et son spectacle feu et lumière, sera vraiment une surprise pour les milliers de spectateurs que nous attendons. En souhaitant évidemment que le temps soit de la partie ". Au total, trois jours et trois nuits d'un véritable bouillon de culture, à vivre dans la cité armoricaine, lieu unique en son genre.

Victor Hache

Les 1er, 2 et 3 juin, à Saint-Brieuc. Infoline : 02 96 68 18 40. Location : 08 92 68 36 22. www.artrock.org

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